Ane juge (L')


Recueil :
Livre : Non classé
Fable : I composée de 41 vers.

La Fontaine
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Un baudet fut élu, par la gent animale,
Juge d’une chambre royale ;
C’est l’homme qu’il nous faut ! disaient autour de lui
Ses amis accourus tout exprès au concile ;
Simple dans son maintien et dans ses goûts facile,
Il sera de Thémis [1] l‘incomparable appui ;
Et de plus il rendra sentences non pareilles,
Puisque, tenant du ciel les plus longues oreilles,
Il se doit mieux entendre aux affaires d’autrui.
Bientôt l’industrieuse avette [2]
Devant cet arbitre imposant,
Se plaignit que la guêpe allait partout disant
Que le trésor ailé des filles de l’Hymette, [3]
Loin de valoir son miel âcre et rousseau [4]
N’était bon qu’à sucrer potage de pourceau
Contre cette menteuse, impudente et traîtresse,
J’implore à genoux Votre Altesse !
Dit l’abeille tremblante au juge au gros museau.
A ces mots l’âne se redresse
Dans son tribunal [5]
Et prenant un air magistral,
Décorum ordinaire aux gens de son espèces,
Il ordonne à l’huissier d’étendre au bord d’un muid [6]
Egale part de l’un et de l’autre produit.
Le grison [7] en goûta du fin bout de sa langue,
Pas une fois mais deux et tint cette harangue,
La gloire de la robe et du bonnet carré
La plaignante ayant fait une cuisine fade,
Nous déclarons, tout très considéré,
Qu’à sa compote de malade
Le miel guépin [8] est par nous préféré.
Quelle saveur au palais agréable !
C’est le piquant des mets délicieux,
Dont Hébé [9] parfume la table
De Jupin [10], le maître des dieux !
Et chacun de blâmer cet arrêt vicieux.
Mais sire Goupillet, renard de forte tête,
Leur dit De votre choix vous avez les guerdons; [11]
Je n’attendais pas moins de ce croque-chardons. [12]
Selon ses goûts juge la bête !
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[1] Déesse de la justice dans la mythologie grecque. On la représente munie de ses attributs, la glaive et la balance.
[2] Abeille. Mot déjà vieilli au temps de La Fontaine.
[3] Le mont Hymette est une montagne au sud d’Athènes, renommée pour son miel.
[4] Qui tend vers le roux.
[5] Vers étrange ce mètre n’apparaît nulle part ailleurs chez La Fontaine.
[6] Ancienne mesure de capacité pour les liquides, variable selon les régions, mais aussi futaille pouvant contenir un muid [de vin, par exemple].
[7] Manière littéraire de nommer l’âne.
[8] De guêpe. Cet adjectif n’est retrouvé nulle part, ni chez Furetière ni dans le Dictionnaire de l’Académie.
[9] Hébé est la fille de Zeus et de Héra, épouse d’Héraclès. Symbole de la jeunesse, c’est elle qui servait le nectar aux dieux.
[10] Nom familier de Jupiter.
[11] La récompense.
[12] L’âne est réputé mangeur de chardons.
Source Père Commire

Remarque :
Cette pièce est rarement reprise dans les recueils de fables de La Fontaine. En effet, son authenticité est habituellement remise en question. Seul Collinet la présente avec toutes les réserves d’usage. En la lisant, nous avons l’impression de nous trouver devant un style qui n’est pas celui de La Fontaine ; le vocabulaire lui aussi est inhabituel chez le fabuliste de Château-Thierry avec ses nombreux archaïsmes et ses noms d’animaux inhabituels et mièvres (sire Goupillet). Elle vous est présentée cependant par un souci de ne rien rejeter qui puisse venir de La Fontaine.

En quelques vers latins, père Commire remercie La Fontaine pour avoir traduit en français sa fable L’ Ane juge. Castaigne a retrouvé une version française précédée de l’ inscription Par feu mons de La Fontaine.
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