Membres et l'Estomac (Les)


Recueil : I parution en 1668.
Livre : III
Fable : II composée de 44 vers.

La Fontaine
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Je devais par la Royauté
Avoir commencé mon Ouvrage.
A la voir d'un certain côté,
Messer Gaster en est l'image.
S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent.
De travailler pour lui les membres se lassant,
Chacun d'eux résolut de vivre en Gentilhomme,
Sans rien faire, alléguant l'exemple de Gaster.
Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu'il vécût d'air.
Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme.
Et pour qui ? Pour lui seul ; nous n'en profitons pas :
Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas.
Chommons, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre.

Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d'agir, les jambes de marcher.
Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent.
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur ;
Il ne se forma plus de nouveau sang au coeur :
Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu'ils croyaient oisif et paresseux,
A l'intérêt commun contribuait plus qu'eux.

Ceci peut s'appliquer à la grandeur Royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et réciproquement
Tout tire d'elle l'aliment.
Elle fait subsister l'artisan de ses peines,
Enrichit le Marchand, gage le Magistrat,
Maintient le Laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l'Etat.
Ménénius le sut bien dire.
La Commune s'allait séparer du Sénat.
Les mécontents disaient qu'il avait tout l'Empire,
Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité ;
Au lieu que tout le mal était de leur côté,
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs était déjà posté,
La plupart s'en allaient chercher une autre terre,
Quand Ménénius leur fit voir
Qu'ils étaient aux membres semblables,
Et par cet apologue, insigne entre les Fables,
Les ramena dans leur devoir.
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Source Tite-Live, II,33 - Esope, L'estomac et les pieds.

Remarque :
Au temps où chez l'homme, l'harmonie ne régnait pas, comme aujourd'hui, dans toutes les parties, mais où chaque membre avait sa volonté et son langage, les autres organes, mécontents de voir que par leurs soins, par leurs efforts et leurs ministères, tout était assuré à l'estomac, que l'estomac était au milieu d'eux, bien tranquille, n'ayant rien à faire que de jouir des plaisirs qu'ils lui procuraient, s'entendirent pour que les mains cessassent de porter les aliments à la bouche, la bouche de recevoir la nourriture donnée, les dents enfin de la broyer. Sous l'influence de cette colère, comme ils voulaient venir à bout de l'estomac par la faim, les membres, à leur tour et le corps tout entier en vinrent eux aussi à un extrême dépérissement. Alors on put voir que l'office du ventre lui non plus n'était pas inutile, mais qu'il nourrissait s'il était nourri, renvoyant dans toutes les parties du corps cet élément qui est notre vie et notre force, qui se répartit également dans les veines, qui arrive à sa perfection par l'assimilation des aliments, le sang. (Tite-Live).
Images

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Membres et l'Estomac (Les)
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)
EsopeVentre et des autres Membres. (Du)


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FableLa Main et le Pied voulurent autrefois faire un procès au Ventre, en lui reprochant qu'ils ne pouvaient suffire à le nourrir, sans qu'il y contribuât de son côté. Ils voulaient l'obliger à travailler comme les autres membres, s'il voulait être nourri. Il leur représenta plusieurs fois le besoin qu'il avait d'aliments. La Main le refusa, et ne voulut rien porter à la bouche pour le communiquer au Ventre, qui tomba en peu de temps en défaillance par cette soustraction d'aliments. Tous les autres membres devinrent faibles et atténués, par la disette où se trouva le Ventre. La Main reconnut alors son erreur, et voulut contribuer à l'ordinaire à nourrir le Ventre ; mais il n'était plus temps, il était trop affaibli pour faire ses fonctions, parce qu'il avait été trop longtemps vide ; il rejeta les viandes qu'on lui présenta : ainsi il périt ; mais toutes les parties du corps périrent avec le Ventre, et furent punies de leur révolte.

SensAinsi avient il en la compagnie des hommes comme en la société des membres. Le membre à besoin de l'autre membre. L'amy ha besoin de l'amy. Parquoy il faut que nous usions et services mutuels. Ne les richesses n'y haut degrez et honneurs, ne rendent point l'homme assez asseuré. Le seul et souverain secours et ayde est d'avoir l'amitié de plusieurs.