Bûcheron et Mercure (Le)


Recueil : I parution en 1668.
Livre : V
Fable : I composée de 69 vers.

La Fontaine


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A. M. L. C. D. B.

Votre goût a servi de règle à mon ouvrage.
J'ai tenté les moyens d'acquérir son suffrage.
Vous voulez qu'on évite un soin trop curieux,
Et des vains ornements l'effort ambitieux.
Je le veux comme vous ; cet effort ne peut plaire.
Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire.
Non qu'il faille bannir certains traits délicats :
Vous les aimez, ces traits, et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu'Esope se propose,
J'y tombe au moins mal que je puis.
Enfin si dans ces Vers je ne plais et n'instruis,
Il ne tient pas à moi, c'est toujours quelque chose.
Comme la force est un point
Dont je ne me pique point,
Je tâche d'y tourner le vice en ridicule,
Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.
C'est là tout mon talent ; je ne sais s'il suffit.
Tantôt je peins en un récit
La sotte vanité jointe avecque l'envie,
Deux pivots sur qui roule aujourd'hui notre vie.
Tel est ce chétif animal
Qui voulut en grosseur au Boeuf se rendre égal.
J'oppose quelquefois, par une double image,
Le vice à la vertu, la sottise au bon sens,
Les Agneaux aux Loups ravissants,
La Mouche à la Fourmi, faisant de cet ouvrage
Une ample Comédie à cent actes divers,
Et dont la scène est l'Univers.
Hommes, Dieux, Animaux, tout y fait quelque rôle :
Jupiter comme un autre : Introduisons celui
Qui porte de sa part aux Belles la parole :
Ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Un Bûcheron perdit son gagne-pain,
C'est sa cognée ; et la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.
Il n'avait pas des outils à revendre.
Sur celui-ci roulait tout son avoir.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face était de pleurs toute baignée.
O ma cognée ! ô ma pauvre cognée !
S'écriait-il, Jupiter, rends-la-moi ;
Je tiendrai l'être encore un coup de toi.
Sa plainte fut de l'Olympe entendue.
Mercure vient. Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce dieu, la connaîtras-tu bien ?
Je crois l'avoir près d'ici rencontrée.
Lors une d'or à l'homme étant montrée,
Il répondit : Je n'y demande rien.
Une d'argent succède à la première,
Il la refuse. Enfin une de bois :
Voilà, dit-il, la mienne cette fois ;
Je suis content si j'ai cette dernière.
- Tu les auras, dit le Dieu, toutes trois.
Ta bonne foi sera récompensée.
- En ce cas-là je les prendrai, dit-il.
L'Histoire en est aussitôt dispersée ;
Et Boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le Roi des Dieux ne sait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor,
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru passer pour une bête
De ne pas dire aussitôt : La voilà !
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête.

Ne point mentir, être content du sien,
C'est le plus sûr : cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien :
Que sert cela ? Jupiter n'est pas dupe.
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Source Esope, Le bûcheron et Hermès - Faërne, Le bûcheron et Mercure, fable 62 - Rabelais, nouveau prologue du livre IV.

Remarque :
Un bûcheron, travaillant près d'un fleuve y laissa tomber sa hache. Il restait assis près du bord, ne sachant que faire et se lamentait. Mercure apprit la cause de ses plaintes et, le prenant en pitié, plongea dans le fleuve. Il en retira une hache d'or et lui demanda si c'était celle-là qu'il avait perdue. L'homme répondit que non. Il redescendit et en rapporta une d'argent. L'autre ayant dit que celle-là non plus n'était pas à lui, pour la troisième fois il se jeta à l'eau et rapporta celle même du bûcheron. Comme il affirmait que celle-là était vraiment celle qu'il avait perdue, Mercure, charme de son honnêteté, les lui donna toutes les trois.
Ensuite, l'homme se trouvant au milieu de ses amis, leur raconta son aventure. L'un d'entre eux voulut en faire autant. Il vint au bord du fleuve. A dessein, il lâcha dans le courant sa propre hache et s'assit en pleurant. Mercure lui apparut à lui aussi et apprit la cause de ses plaintes. Il descendit comme la première fois, remonta une hache d'or et lui demanda si c'etait celle-là qu'il avait perdue. L'autre tout joyeux :
- Oui, vraiment, c'est celle-là, lui dit-il.
Le dieu ayant en horreur une telle impudence, non seulement la garda, mais ne lui donna même pas la sienne propre.

Cette fable montre qu'autant la divinité favorise les justes ,autant elle est hostile aux méchants. (Esope)
Images

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Bûcheron et Mercure (Le)
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)

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Bûcheron et Mercure (Le)
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)
EsopeDieu Mercure et d'un Bûcheron. (Du)


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FableUn Bûcheron coupant du bois dans une Forêt sur le bord d'une Rivière, y laissa tomber sa cognée. Dans le désespoir où il se vit après cette perte, ne sachant quel conseil prendre, il s'assit sur le rivage, et se mit à pleurer amèrement. Mercure qui l'aperçut eut compassion de sa destinée, et ayant appris le sujet de sa douleur, il lui montra une cognée d'or, et lui demanda si c'était la sienne. Le Bûcheron lui répondit sincèrement qu'elle ne lui appartenait pas. Alors Mercure lui en montra une d'argent, et lui demanda si c'était celle qu'il avait perdue. Il lui répondit avec la même bonne foi, que non. Enfin, Mercure lui en montra une emmanchée de bois, et le Bûcheron lui dit que celle-là lui appartenait. Le Dieu touché de la bonne foi et de la probité de ce pauvre homme, lui donna les trois cognées. Le Bûcheron raconta à ses compagnons l'aventure qui venait de lui arriver. L'un d'eux résolut de tenter une pareille fortune, alla sur le bord de la rivière, laissa de propos délibéré tomber sa cognée dans le courant ; après quoi il s'assit sur le rivage, jetant de hauts cris. Mercure se présenta devant lui, et ayant appris la cause de ses larmes, il se plongea dans la rivière, et après en avoir retiré une cognée d'or, il lui demanda si c'était celle qu'il avait perdue. Cet homme rempli de joie, lui dit que c'était elle en effet. Mercure irrité de l'impudence de ce fourbe, ne lui donna ni la cognée d'or, ni celle qu'il avait jetée tout exprès dans la rivière.

SensD'autant que Dieu est plus propice aux bons d'autant est-il plus grand ennemi aux méchans.