Ours et les deux Compagnons (L')


Recueil : I parution en 1668.
Livre : V
Fable : XX composée de 38 vers.

La Fontaine
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Deux compagnons pressés d'argent
A leur voisin Fourreur vendirent
La peau d'un Ours encor vivant,
Mais qu'ils tueraient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent.
C'était le Roi des Ours au compte de ces gens.
Le Marchand à sa peau devait faire fortune.
Elle garantirait des froids les plus cuisants,
On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu'une.
Dindenaut prisait moins ses Moutons qu'eux leur Ours :
Leur, à leur compte, et non à celui de la Bête.
S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en quête,
Trouvent l'Ours qui s'avance, et vient vers eux au trot.
Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre.
Le marché ne tint pas ; il fallut le résoudre :
D'intérêts contre l'Ours, on n'en dit pas un mot.
L'un des deux Compagnons grimpe au faîte d'un arbre ;
L'autre, plus froid que n'est un marbre,
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent,
Ayant quelque part ouï dire
Que l'Ours s'acharne peu souvent
Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire.
Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau.
Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie,
Et de peur de supercherie
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l'haleine.
C'est, dit-il, un cadavre ; Otons-nous, car il sent.
A ces mots, l'Ours s'en va dans la forêt prochaine.
L'un de nos deux Marchands de son arbre descend,
Court à son compagnon, lui dit que c'est merveille
Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal.
Eh bien, ajouta-t-il, la peau de l'animal ?
Mais que t'a-t-il dit à l'oreille ?
Car il s'approchait de bien près,
Te retournant avec sa serre.
- Il m'a dit qu'il ne faut jamais.
Vendre la peau de l'Ours qu'on ne l'ait mis par terre.
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Source Esope, Les voyageurs et l'ourse - Abstémius, D'un tanneur achetant la peau d'un ours qui n'était pas eore pris - Haudent, D'un veneur et d'un corroyeur, fable 108.

Remarque :
Deux amis faisaient route ensemble. Une ourse s'étant trouvée sur leur chemin, l'un, épouvanté, grimpa sur un arbre et s'y cacha. L'autre, ne pouvant a lui seul venir à bout de la bête et comprenant qu'elle aurait le dessus, se laissa tomber à terre et il faisait le mort. L'ourse approchait de sa tête, flairait ses oreilles et son diaphragme. Mais l'homme retenait énergiquement son haleine. L'ourse, supposant qu'il était mort, s'en alla, car les ours, dit-on, ne touchent pas aux cadavres. Quand elle fut partie, l'autre voyageur descendit de son arbre et demanda à son ami ce que l'ourse lui disait à l'oreille. Il répondit :
- L'ourse m'a dit de pas voyager désormais avec des amis qui ne savent pas tenir bon dans les dangers.

Cette fable signifie que les amis véritables se révèlent dans le malheur. (Esope)
Images

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Ours et les deux Compagnons (L')
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)

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Ours et les deux Compagnons (L')
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)
EsopeDeux Amis et de l'Ours. (De)


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FableDeux voyageurs faisant chemin ensemble, aperçurent un Ours qui venait droit à eux. Le premier qui le vit monta brusquement sur un arbre, et laissa son compagnon dans le péril, quoiqu'ils eussent été toujours liés jusqu'alors d'une amitié fort étroite. L'autre qui se souvint que l'Ours ne touchait point aux cadavres, se jeta par terre tout de son long, ne remuant ni pieds ni mains, retenant son haleine, et contrefaisant le mort le mieux qu'il lui fut possible. L'Ours le tourna et le flaira de tous côtés, et approcha souvent sa hure de la bouche et des oreilles de l'Homme qui était à terre ; mais le tenant pour mort, il le laissa et s'en alla. Les deux voyageurs s'étant sauvés de la sorte d'un si grand péril, et des griffes de l'Ours, continuèrent leur voyage. Celui qui avait monté sur l'arbre, demandait à son compagnon, en chemin faisant, ce que l'Ours lui avait dit à l'oreille, lorsqu'il était couché par terre. " Il m'a dit, répliqua le Marchand, plusieurs choses qu'il serait inutile de vous raconter ; mais ce que j'ai bien retenu, c'est qu'il m'a averti de ne compter jamais parmi mes amis que ceux dont j'aurai éprouvé la fidélité dans ma mauvaise fortune. "

SensC'est une chose bien rare et semblable au Cigne noir que la foy, L'adversité et les perilz demonstrent qui est le vray amy.