Cochet, le Chat, et le Souriceau (Le)


Recueil : I parution en 1668.
Livre : VI
Fable : V composée de 42 vers.

La Fontaine
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Un Souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
J'avais franchi les Monts qui bornent cet Etat,
Et trottais comme un jeune Rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin et gracieux,
Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude.
Il a la voix perçante et rude,
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée.
Or c'était un Cochet dont notre Souriceau
Fit à sa mère le tableau,
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui grâce aux Dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon coeur.
Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance ;
Un modeste regard, et pourtant l'oeil luisant :
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les Rats ; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.
- Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
Qui sous son minois hypocrite
Contre toute ta parenté
D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal tout au contraire
Bien éloigné de nous mal faire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au Chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.
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Source Abstémius, Le rat qui voulait se lier d'amitié avec le chat; Dans sa fable 21, verdizotti a placé un troisième personnage : le jeune coq.

Remarque :
Des rats qui habitaient dans le trou d'un mur contemplaient un chat qui, la tête inclinée, l'air triste, était couché sur le plancher. Et l'un d'eux :
- Cet animal, dit-il, semble tout à fait aimable et doux. Il porte je ne sais quel air de sainteté sur son visage. Je veux lui parler et nouer avec lui une amitié indissoluble.
A ces mots il s'approcha du chat qui le saisit et le mit en pièces. Les autres, à cette vue, se disaient entre eux :
- Ah non, certes, non, il ne faut pas se fier imprudemment à la mine.

Cette fable enseigne que ce n'est pas par le visage, mais par les actes, qu'il faut juger les hommes, car souvent sous une peau de brebis ce sont des loups féroces qui se cachent. (Abstemius)
Images

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Cochet, le Chat, et le Souriceau (Le)
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)