Ane et ses Maîtres (L')


Recueil : I parution en 1668.
Livre : VI
Fable : XI composée de 30 vers.

La Fontaine
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L'Ane d'un Jardinier se plaignait au destin
De ce qu'on le faisait lever devant l'Aurore.
Les Coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin ;
Je suis plus matineux encor.
Et pourquoi ? Pour porter des herbes au marché.
Belle nécessité d'interrompre mon somme !
Le sort de sa plainte touché
Lui donne un autre Maître ; et l'Animal de somme
Passe du Jardinier aux mains d'un Corroyeur.
La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente Bête.
J'ai regret, disait-il, à mon premier Seigneur.
Encor quand il tournait la tête,
J'attrapais, s'il m'en souvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtait rien.
Mais ici point d'aubaine ; ou, si j'en ai quelqu'une,
C'est de coups. Il obtint changement de fortune,
Et sur l'état d'un Charbonnier
Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. Quoi donc ! dit le Sort en colère,
Ce Baudet-ci m'occupe autant
Que cent Monarques pourraient faire.
Croit-il être le seul qui ne soit pas content ?
N'ai-je en l'esprit que son affaire ?

Le Sort avait raison ; tous gens sont ainsi faits :
Notre condition jamais ne nous contente :
La pire est toujours la présente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets.
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.
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Source Esope, L'Ane et le jardinier; Faërne, L'Ane changeant de maîtres, fable 69.

Remarque :
Un âne était au service d'un jardinier. Comme il mangeait peu, travaillait beaucoup, il pria Jupiter de le délivrer du jardinier et de le revendre à un autre maître. Jupiter l'exauça et le fit acheter à un potier. Mais de nouveau il était mécontent, car il était chargé de fardeaux encore plus lourds qu'auparavant et portait de l'argile et des tuiles. De nouveau il demanda a changer de maître et fut acheté par un corroyeur. Mais il tomba sur un maître pire encore que les précédents et, voyant le métier qu'on avait à faire chez lui, il dit en gémissant :
- Hélas! malheureux, il eût mieux valu pour moi rester chez mes premiers maîtres, car ce dernier, à ce que je vois, façonnera aussi ma peau.

Cette fable montre que les serviteurs regrettent leurs premiers maîtres, surtout quand ils ont fait l'épreuve des suivants. (Esope)
Images

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Ane et ses Maîtres (L')
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)
EsopeAne qui change de Maître. (De l')


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FableL'Âne d'un Jardinier se lassa de se lever avant le point du jour pour porter des herbes au marché. Un jour il pria Jupiter de lui donner un Maître chez qui il pût, disait-il, au moins dormir. " Soit, dit le Maître des dieux " : et cela dit, voilà le Baudet chez un Charbonnier. Il n'y eut pas resté deux jours qu'il regretta le Jardinier. " Encore, disait-il, chez lui j'attrapais de temps en temps à la dérobée quelques feuilles de chou ; mais ici que peut-on gagner à porter du charbon ? des coups, et rien davantage ". Il fallut donc lui chercher une autre condition. Jupiter le fit entrer chez un Corroyeur, et le Baudet, qui n'y pouvait souffrir la puanteur des peaux dont on le chargeait, criait plus fort que jamais, et demanda pour la troisième fois un autre Maître. Alors le dieu lui dit : " Si tu avais été sage, tu serais resté chez le premier. Quand je t'en donnerais un nouveau, tu n'en serais pas plus content que des autres. Ainsi, reste où tu es, de peur que tu ne trouves encore ailleurs plus de sujet de te plaindre ".

SensFable non commentée.