Obsèques de la Lionne (Les)
Recueil : | II parution en 1678. | |
Livre : | VIII | |
Fable : | XIV composée de 55 vers. |
La Fontaine
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La femme du Lion mourut : Aussitôt chacun accourut Pour s'acquitter envers le Prince De certains compliments de consolation, Qui sont surcroît d'affliction. Il fit avertir sa Province Que les obsèques se feraient Un tel jour, en tel lieu ; ses Prévôts [1] y seraient Pour régler la cérémonie, Et pour placer la compagnie. Jugez si chacun s'y trouva. Le Prince aux cris s'abandonna, Et tout son antre en résonna. Les Lions n'ont point d'autre temple. On entendit à son exemple Rugir en leurs patois Messieurs les Courtisans. Je définis la cour un pays où les gens Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents, Sont ce qu'il plaît au Prince, ou s'ils ne peuvent l'être, Tâchent au moins de le parêtre, Peuple caméléon, peuple singe du maître, On dirait qu'un esprit anime mille corps ; C'est bien là que les gens sont de simples ressorts [2]. Pour revenir à notre affaire Le Cerf ne pleura point, comment eût-il pu faire ? Cette mort le vengeait ; la Reine avait jadis Etranglé sa femme et son fils. Bref il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire, Et soutint qu'il l'avait vu rire. La colère du Roi, comme dit Salomon [3], Est terrible, et surtout celle du roi Lion : Mais ce Cerf n'avait pas accoutumé de lire. Le Monarque lui dit : Chétif hôte des bois Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix. Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes Nos sacrés ongles ; venez Loups, Vengez la Reine, immolez tous Ce traître à ses augustes mânes. Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs Est passé ; la douleur est ici superflue. Votre digne moitié couchée entre des fleurs, Tout près d'ici m'est apparue ; Et je l'ai d'abord reconnue. Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi, Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige à des larmes. Aux Champs Elysiens [4] j'ai goûté mille charmes, Conversant [5] avec ceux qui sont saints comme moi. Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi. J'y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose, Qu'on se mit à crier : Miracle, apothéose ! Le Cerf eut un présent, bien loin d'être puni. Amusez les Rois par des songes, Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges, Quelque indignation dont leur coeur soit rempli, Ils goberont l'appât, vous serez leur ami. |
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Source
Abstémius, Le Lion irrité contre le cerf qui se réjouissait de la mort de la Lionne, 148.
Remarque :
Un lion avait invité tous les quadrupèdes à honorer les obsèques de sa femme qui venait de mourir. Pendant que tous les animaux ressentaient à la mort de la reine telle douleur inexprimable, seul, le cerf, à qui elle avait enlevé ses fils, étranger au chagrin, ne versait pas une larme. Le roi s'en aperçut. Il fait venir le cerf pour le mettre à mort. Il lui demande pourquoi il ne pleure pas avec les autres la mort de la reine.
- C'est ce que j'aurais fait, dit celui-ci si elle ne me l'avait pas défendu. Quand j'approchai, son âme bien heureuse m'apparut. Elle se rendait aux demeures élyséennes, ajoutant qu'il ne fallait pas pleurer son départ, parce qu'elle se rendait vers les parcs riants et les bois, séjour enchanté du bonheur.
A ces mots, le lion plein de joie, accorda au cerf sa grâce.
Cette fable signifie que c'est parfois le devoir d’un homme prudent de feindre et de s'abriter de la fureur des puissants derrière une honorable excuse.
Remarque :
Un lion avait invité tous les quadrupèdes à honorer les obsèques de sa femme qui venait de mourir. Pendant que tous les animaux ressentaient à la mort de la reine telle douleur inexprimable, seul, le cerf, à qui elle avait enlevé ses fils, étranger au chagrin, ne versait pas une larme. Le roi s'en aperçut. Il fait venir le cerf pour le mettre à mort. Il lui demande pourquoi il ne pleure pas avec les autres la mort de la reine.
- C'est ce que j'aurais fait, dit celui-ci si elle ne me l'avait pas défendu. Quand j'approchai, son âme bien heureuse m'apparut. Elle se rendait aux demeures élyséennes, ajoutant qu'il ne fallait pas pleurer son départ, parce qu'elle se rendait vers les parcs riants et les bois, séjour enchanté du bonheur.
A ces mots, le lion plein de joie, accorda au cerf sa grâce.
Cette fable signifie que c'est parfois le devoir d’un homme prudent de feindre et de s'abriter de la fureur des puissants derrière une honorable excuse.