Huître et les Plaideurs (L')


Recueil : II parution en 1678.
Livre : IX
Fable : IX composée de 25 vers.

La Fontaine
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Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent
Une Huître que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
A l'égard de la dent il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour amasser [1] la proie ;
L'autre le pousse, et dit : Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu [2] l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
- Si par là on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'oeil bon, Dieu merci [3].
- Je ne l'ai pas mauvais aussi,
Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
- Eh bien ! vous l'avez vue, et moi je l'ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin [4] arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement ouvre l'Huître, et la gruge,
Nos deux Messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de Président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles [5].
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[1] Richelet : "Recueillir ce qui est tombé à terre". Il constate qu'en ce sens on dit plutôt "ramasser".
[2] Var. [1671] : "dû"
[3] Var. [1671] : "l'oeil bon. Dieu merci,". Rappelons que le tiret, non plus que les guillemets, n'appartient à la ponctuation de La Fontaine.
[4] Le personnage vient du Tiers Livre [XLI], où Rabelais le présente comme un "appointeur de procès" [Folio n°462, p.481].
[5] Richelet : "Donner à quelqu'un son sac et ses quilles : proverbe pour dire lui donner son congé et le chasser". Ici les plaideurs, une fois le juge nanti, sont mis hors de cour.
Source Fin de l'Epître I de Boileau (1670), puis l'essentiel de l'Epître II,V. 41-52 (1672); le satirique, selon Brossette, la tenait de son père; elle viendrait "d'une ancienne comédie italienne". La Fontaine a publié sa version dans l'intervalle, en 1671, parmi les Fables nouvelles et autres poésies, où elle occupe la dernière place de la série. Le thème était annoncé dès 1688 à la fin des Frelons et les Mouches à miel, I, 21, V. 37-38.

Remarque :
Un jour, dit un auteur, n'importe en quel chapitre,
Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une huître;
Tous deux la contestaient, lorsque dans leur chemin
La Justice passa, la balance à la main.
Devant elle à grand bruit ils expliquent la chose .
Tous deux aux dépens veulent gagner leur cause.
La justice pesant ce droit litigieux
Demande l’huître, l'ouvre et l'avale à leurs yeux,
Et par ce bel arrêt terminant la bataille,
Tenez, voilà, dit-elle, à chacun une écaille.
Des sottises d'autrui, nous vivons au Palais.
Messieurs, l’huître était bonne. Adieu. Vivez en paix.
Images

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Huître et les Plaideurs (L')
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)

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Huître et les Plaideurs (L')


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Huître et les Plaideurs (L')
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)