Loup et les Bergers (Le)


Recueil : II parution en 1678.
Livre : X
Fable : V composée de 41 vers.

La Fontaine
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Un Loup rempli d'humanité
[S'il en est de tels dans le monde]
Fit un jour sur sa cruauté,
Quoiqu'il ne l'exerçât que par nécessité,
Une réflexion profonde.
Je suis haï, dit-il, et de qui ? De chacun.
Le Loup est l'ennemi commun :
Chiens, chasseurs, villageois, s'assemblent pour sa perte.
Jupiter est là-haut étourdi de leurs cris ;
C'est par là que de loups l'Angleterre [1] est déserte :
On y mit notre tête à prix.
Il n'est hobereau qui ne fasse
Contre nous tels bans publier ;
Il n'est marmot osant crier
Que du Loup aussitôt sa mère ne menace.
Le tout pour un Ane rogneux [2],
Pour un Mouton pourri [3], pour quelque Chien hargneux,
Dont j'aurai passé mon envie.
Et bien, ne mangeons plus de chose ayant eu vie [4];
Paissons l'herbe, broutons ; mourons de faim plutôt.
Est-ce une chose si cruelle ?
Vaut-il mieux s'attirer la haine universelle ?
Disant ces mots il vit des Bergers pour leur rôt
Mangeants un agneau cuit en broche.
Oh, oh, dit-il, je me reproche
Le sang de cette gent. Voilà ses gardiens
S'en repaissants, eux et leurs chiens ;
Et moi, Loup, j'en ferai scrupule ?
Non, par tous les Dieux. Non. Je serais ridicule.
Thibaut l'agnelet passera
Sans qu'à la broche je le mette ;
Et non seulement lui, mais la mère qu'il tette,
Et le père qui l'engendra.
Ce Loup avait raison. Est-il dit qu'on nous voie
Faire festin de toute proie,
Manger les animaux, et nous les réduirons
Aux mets de l'âge d'or autant que nous pourrons ?
Ils n'auront ni croc ni marmite [5]?
Bergers, bergers, le loup n'a tort
Que quand il n'est pas le plus fort :
Voulez-vous qu'il vive en ermite ?
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[1] Sur leur élimination depuis le Xe siècle grâce à une mesure prise par le roi Edgar, voir les textes cités par H. Busson dans Littérature et théologie [p.177].
[2] Richelet : Synonyme de "galeux"
[3] Atteint de la maladie du pourri, spécifique au mouton.
[4] Devenons végétarien.
[5] L'expression appartient au style burlesque. Le croc, pour pendre la viande, la marmite la faire cuire.
Source Esope (un apologue), Le Loup et les Bergers, rapporté brièvement par Plutarque dans Le Banquet des sept Sages, Oeuvres morales et mélées, t. I, F° 158C, repris par Camerarius, 349, et Philibert Hégémon, 20. Voir aussi Abstémius, Sur un renard et des femmes mangeant une Poule.

Remarque :
Un loup voyant des bergers qui mangeaient des moutons sous une tente s'approcha :
- Quels cris vous pousseriez, dit-il, si j'en faisais autant !
Images

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Loup et les Bergers (Le)
Gustave Doré
Illustrateur français (1832-1883)
EsopeLoup et des Bergers. (Du)


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FableUn Loup voyant des Bergers qui mangeaient un mouton sous une tente s'approcha : " Quels cris vous pousseriez, dit-il, si j'en faisais autant ".

SensFable non commentée.