Le jardinier et son seigneur.


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Jean de La Fontaine, écrivain et poète de la cour de la fin du XVIIe siècle, tire sa grande renommée de ses Fables, écrites entre 1668 et 1694. Nombre de ses fables ont une portée morale et philosophique, d’autres sont aussi sociales, comme celle à l’étude ici, le Jardinier et son Seigneur, qui vient dénoncer et critiquer une réalité contemporaine, à savoir l’asservissement du « paysan » face à son seigneur.

Pour cela, La Fontaine ne se contente pas de s’appuyer sur l’actualité de l’époque, mais il cherche aussi à convaincre par l’intermédiaire de l’apologue et ainsi pousser le lecteur à une réflexion personnelle.

Quels sont les buts de cette fable ?Nous verrons tout d’abord la portée philosophique et morale de ce texte à travers la thématique du jardin, puis que ce texte, rempli d’humour et de comique, fait de lui une satire mordante de la société. Enfin nous verrons que ce texte constitue une critique des abus de pouvoir en tous genres.

Nous pouvons voir que La Fontaine utilise la thématique du jardin. Nous allons d’abord montrer que c’est un support contextuel au récit, mais que c’est aussi un support philosophique à une morale personnelle.Nous pouvons définir le jardin comme un monde miniature, où l’Homme plante et cultive sa nourriture, afin de se nourrir, de nourrir sa famille ou même partager avec son entourage. C’est un bien personnel, qu’il doit entretenir et protéger (tout comme le jardin intime).

À cette image, on peut donc y rattacher une morale philosophique, à savoir, que l’homme doit s’entretenir intellectuellement, afin de conserver ses acquis, il doit pouvoir se renouveler, corriger et apprendre de ses erreurs, mais aussi savoir se fixer des limites. Ce principe d’homme qui « s’élève » par lui même se retrouve dans Candide de Voltaire, où l’Homme peut trouver son bonheur en travaillant (« Il faut cultiver notre jardin »). Cet idéal du jardin, où l’homme vivrait heureux, peut faire naître un sentiment d’envie : si le voisin a un plus beau jardin que le sien ? On peut donc dire que cette idéologie n’est qu’une utopie, l’utopie d’un monde meilleur.

Nous pouvons aussi remarquer que le jardin sert de décor au récit, et installe ainsi celui-ci dans un univers rustique et campagnard, où La Fontaine n’hésite pas à utiliser le champs lexical et les termes issus du « patois », ou du langage populaire, comme par exemple le prénom Margot ou « goulée », pour inscrire son histoire dans un cadre réel et ainsi critiquer de manière plus concrète la société contemporaine.

Le jardin a aussi une autre fonction : grâce à lui, on peut retracer l’évolution du statut du jardinier. En effet, si on reprend l’idée que le jardin est lieu de travail et de développement personnel (Candide), l’état du jardin représente l’état psychologique du jardinier. En effet, au début de la fable, le jardin est propre et bien entretenu, ce qui signifie que le jardinier est sain d’esprit. On dit aussi que le jardin est clos par des plants vifs, ce qui signifie qu’il connaît ses limites et les limites de son « territoire » (même s’il appartient au seigneur). À la fin de la fable, le jardin est détruit, il ne reste plus rien et le problème se résout par sa destruction (puisqu’il n’y a plus rien à manger, le lièvre s’en va). On ne peut pas vraiment parler de solution réelle, mais ceci montre bien et souligne encore plus l’état psychologique final du jardinier : il est dépossédé de son bien (il n’a plus de jardin, le seigneur a abusé de son hospitalité...) et cette expérience lui donne une grande leçon (qui lui vaut de ne plus rien avoir à manger).

La thématique du jardin plante donc le contexte dans un monde rural. Elle nous représente aussi une face philosophique qui nous pousse à engager une réflexion personnelle sur le but de l’existence humaine. Afin de nous ramener à cette conclusion, La Fontaine fait appel à une arme de persuasion utilisée dans tous les apologues : le comique et la satire.

Ce texte est en effet rempli d’humour et de comique, tout d’abord dans le tableau pittoresque que le fabuliste tente de représenter, mais aussi dans l’épopée burlesque qu’il veut instaurer. Tableau pittoresque tout d’abord, avec deux éléments importants. Le premier élément est le vecteur déclencheur des « péripéties », c’est-à-dire le lièvre.

La Fontaine se sert d’un animal inoffensif, donc sans danger pour la vie de l’Homme, comme élément déclencheur de conflits. C’est donc source d’ironie et de satire, car c’est bien le lièvre (qui rappelons-le est un animal herbivore...) qui tournera en ridicule le Seigneur ! L’animal est même personnifié (cf. la majuscule, et les différentes dénominations données au lièvre). Le lecteur comprend donc de ce fait immédiatement le rôle ironique de cette personnification.

Le deuxième élément du tableau pittoresque est celui de l’utilisation du pathétique, mais dans un but ironique. En effet, l’anaphore en « adieu » vers la fin de la fable, donne un accent particulièrement pathétique à la destruction du jardin (procédé qui est repris par La Fontaine dans « Perrette et le pot au lait »). Cet excès de sentiments n’a qu’un effet comique auprès du lecteur, puisqu’il fait naître le rire au lieu de la compassion vis-à-vis du jardinier, qui vient de perdre, en moins d’une heure, la quasi totalité de son bien (car c’est celui qui le nourrissait).

En plus de ces éléments « issus » d’un tableau pittoresque, on peut observer l’instauration d’une épopée burlesque, qui vise à décrédibiliser le seigneur. En effet, on assiste à une attaque en règle de « l’ennemi » (qui est un lièvre !) et dans l’art de la chasse à courre : trompes, cors, le fait qu’il ne faut pas attaquer le gibier lorsqu’il est gîté... sont autant d’éléments qui tendent à nous prouver que le seigneur fait bien les choses dans la tradition. Ce qui parait encore plus comique et ridiculise complètement le seigneur, qui se voit humilié par un lièvre ! La Fontaine utilise donc le rire et la dérision afin de nous prouver l’illogisme des traditions encore d’actualité. C’est donc que le fabuliste cherche à critiquer le pouvoir en place, que ce soit au niveau social ou politique.

On peut donc assister à une critique virulente du pouvoir en place, qui est d’abord sociale, puis plus généralement politique. Sociale d’abord, avec la critique des pouvoirs seigneuriaux et leurs privilèges. À commencer par la critique des privilèges, comme ici la chasse à courre. Seul le seigneur est à même de chasser, c’est-à-dire que le jardinier, même si ce n’est pas pour son plaisir ni pour le loisir, ne peut chasser le lièvre hors de chez lui. Il doit recourir au seigneur. Ce qui paraît immédiatement absurde, puisque sans l’aide du seigneur, le jardinier aurait sûrement pu se débarrasser sans problème du lièvre en le tuant (ou par d’autres moyens), mais comme il lui est interdit, c’est ce privilège qui va provoquer la situation finale du récit.

Le deuxième privilège critiqué est celui des seigneurs à pouvoir passer n’importe où à cheval, afin de montrer leur « domination » sur le reste de leurs sujets. C’est pour ça que le seigneur se réserve le droit de passer sur le jardin du bourgeois sans aucun état d’âme, et accélère sa destruction. La Fontaine cherche aussi à critiquer les abus de pouvoirs des nobles, comme ici avec le seigneur. En effet, « invité » chez le bourgeois à une partie de chasse, celui ne se gêne pas, et prend son aise : il profite de la fille du jardinier, mange comme un ogre (« on se rue en cuisine » qui rappelle un passage de Gargantua de Rabelais) et s’approprie tous les biens que possède le petit bourgeois. Ainsi, La Fontaine utilise à dessein le « nous » seigneurial, qui permet judicieusement au seigneur de se considérer comme possesseur des biens du bourgeois (comme la fille...).

À travers cette critique virulente des abus seigneuriaux, La Fontaine critique aussi la réalité de la vie paysanne. En effet, on s’aperçoit vite que même si le jardin paraît être un bien précieux du jardinier, il appartient en fait au seigneur. Cette réalité est rappelée par la formulation « demi – bourgeois, demi – manant » qui insiste donc sur le paradoxe de la vie du tiers état : même s’ils possèdent un lopin de terre, celui-ci n’est pas réellement le leur. Le paysan n’est donc qu’un sujet asservi, qui ne peut contester le pouvoir en place. On peut l’observer grâce aux réactions du bourgeois lors de la partie de chasse (il trouve par exemple étrange d’utiliser des cors et des trompettes alors qu’ils sont dans un petit jardin, il ne voit pas non plus l’intérêt du seigneur à venir en cheval dans son jardin, sinon à détruire encore plus le jardin), mais ses réactions n’ont aucune influence. C’est en spectateur passif que le jardinier assiste à la destruction de son jardin.

Le fabuliste cherche aussi à critiquer le système politique avec cette fable, comme le montre la morale, qui vient clore à propos ce que le lecteur a déjà compris, à savoir, que la politique doit chercher à éviter les abus, gérer les problèmes seule et se fixer des limites (les lois). Or, ce principe n’est pas respecté, bafoué par la plupart des princes et rois de l’époque. C’est donc un avertissement lancé aux dirigeants, dans ce siècle de guerre et d’affrontements sanglants, qui relance de nouveau le débat sur l’utilité de la guerre (comme on peut ici se demander l’utilité du droit exclusif du seigneur à la chasse !).

Nous avons vu que cette fable apportait une morale philosophique à travers la thématique du jardin, qui place l’homme dans une recherche perpétuelle du bonheur, mais qui installe le texte dans une réalité contemporaine. Nous avons vu ensuite que la drôlerie était un élément de persuasion important, puisqu’il décrédibilise le seigneur et le tourne en ridicule face à un lièvre. Enfin, nous avons vu que cette fable cherchait ainsi à critiquer le pouvoirs et ses abus, avec une critique d’abord sociale puis politique, qui vise à caricaturer le système en place.Cette fable cherche donc à dénoncer un réalité contemporaine, qui voit le paysan assujetti au bon vouloir du seigneur, mais aussi une forme de sagesse populaire qui vise à mettre en garde conte les abus de toutes sortes, à veiller à s’occuper soi –même de sa famille et de ses biens.Pourtant, cette accession au bonheur (vis à vis de l’utopie du jardin) semble irréalisable, puisque, comme nous l’avons vu tout à l’heure, le fait de posséder un bien et de l’entretenir (en l’occurrence mieux que l’autre) fait naître l’envie, et donc fait naître des conflits. On peut se demander si la théorie épicurienne du jardin est la meilleure solution à la recherche du bonheur....

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