La méthode de travail.


A la lecture des toutes ces fables, écrites dans un style limpide, clair, avec l'emploi du mot juste, où les vers sont construits par des rimes subtiles, le lecteur pourrait croire que La Fontaine avait une aisance déconcertante pour écrire ses textes. Si son génie est reconnu dans l'idée d'avoir remis au goût du jour le style de la fable, la qualité de sa production tient à son travail assidu, à son souci du détail, au choix des formules employées. Il faisait et défaisait sans cesse ces textes, afin d'essayer d'autres combinaisons pour trouver enfin le vers le plus beau.

Hélas, il nous reste aujourd'hui uniquement un seul manuscrit du travail sur les fables, ce qui semble être le premier "jet" de Le Renard, les mouches, et le Hérisson, pour se faire une idée de la méthode de travail du fabuliste. Il s'agit d'une copie qui ne porte qu'une rature, mais son texte est très différent de celui qui sera édité (Livre XII fable 13). Cela porte à croire que l'auteur apportait des modifications jusqu'à la dernière minute avant l'édition.

Ainsi, pour neuf fables des livres I et III les manuscrits Conrart (éditeur) nous ont conservé la copie d'une première version, plus pauvre et plus timide en générale que la version définitive. La comparaison des deux versions nous montre dans Le loup et l'Agneau que les vers 19 à 25 ont été rajoutés après coup. De même, dans le Corbeau et le Renard, le premier texte faisait dire au renard : "Vous êtes le premier des hôtes de ces bois" alors qu'en définitive La Fontaine préféra le mot "... le phénix..." ce qui rendit la flatterie plus ingénieuse et le vers plus éclatant.

Nous savons aussi que le fabuliste pouvait récrire certaines fables, bien qu'elles soient parues quelques années auparavant. Cela montre à quel point La Fontaine était un perfectionniste. L'exemple suivant de la fables Les Deux Chèvres paru en 1691 dans la Mercure Galant, illustre parfaitement ce propos.

 Extrait des premiers vers de l'édition de 1691.  Extrait des premiers vers de l'édition de 1694.

Les Chèvres ont une propriété,
C'est qu'ayant fort longtemps brouté
Elles prennent l'essor, et s'en vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Inaccessibles aux humains.
Est-il quelque lieu sans chemins...

Dès que les Chèvres ont brouté,
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune ; elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Les moins fréquentés des humains.
Là s'il est quelque lieu sans route et sans chemins...

L'introduction de la première version et évidement plus lourde, plus traînante et gauche, alors que la seconde est bien plus alerte, pétillante et aérienne.

D'une manière générale, peu d'indices nous restes pour vraiment définir comment travaillait La Fontaine. Il semble cependant, que chacune de ses fables a été le fruit d'un long travail, hésitant souvent, mais certainement amoureux et lucide.