Le fou qui vend de la sagesse.
© Stern - lycée Les Mureaux
- La mise en scène de l’ambiguïté entre sagesse et folie.
- L’ambiguïté du sens de la fable.
- Le fabuliste et la folie.
- Le fabuliste et la folie.
La mise en scène de l’ambiguïté entre sagesse et folie.
Un couple indissociable.On peut voir que dès le titre, apparaît l’opposition sagesse / folie qui structure l’ensemble de la fable. Cette antithèse est une figure récurrente qui apparaît de façon systématique et répétée. Cependant cette opposition cache en fait un lien très profond puisque dans le texte, l’une ne va jamais sans l’autre : (vers 1 « fou », vers 2 « sage », vers 8 « fol », vers 9 « sagesse », vers 18 « chercher du sens », vers 19 « ignorant », vers 20 « raison », vers 21 « fou »)
Paradoxe de la sagesse à vendre : une qualité morale matérialisée.
Le fou est fou car sa proposition est absurde. La sagesse n’est pas un bien matériel. On voit donc ici que le premier sens du mot « fou » renvoie à la maladie mentale. Cependant, le champs lexical de l’achat rend cette identification du personnage du fou est beaucoup plus problématique puisqu’on a « vend » au titre mais également « achat » au vers 12, choses qui s’appliquent aux « mortels », c’est à dire à ceux qui devraient être sains d’esprit. Certes le fou est fou mais il est également celui qui révèle la folie des autres hommes. Il est donc dès lors possesseur d’une forme de sagesse.
Incarnation de l’ambivalence sagesse/folie à travers les personnages de la fable.La Fontaine met en scène ses idées en les incarnant dans des personnages de comédie. On a en effet une structure qui ressemble à une comédie en deux actes.
* acte 1 : le dupe et le fou
* acte 2 : le dupe et le sage
Le sage est celui qui maîtrise le mieux la parole puisque le dupe est muet. Le fou parle grâce au discours indirect vers 8 et 9 alors que le sage parle au discours direct au vers 6. Ce sont les seules paroles que le lecteur « entend », ce sont donc les plus efficaces. Cependant le discours du sage valorise le discours silencieux et incompréhensible du fou qualifié de « hiéroglyphes » même s’il s’agit tout de même d’un langage.
L’ambiguïté du sens de la fable.
La fable est composée de deux strophes distinctes. La première est marquée par la complicité entre moraliste et lecteur qui se voit grâce à l’énonciation « je » au vers 2, « tu » aux vers 1 et 2. Cette morale proche du discours préfaciel précède le récit qui occupe la deuxième strophe. Malgré cette structure inhabituelle, l’unité est préservée grâce aux rimes croisées qui unissent les deux strophes, « toujours » « carrefour » « ridicules » « crédules » Cette structure circulaire se retrouve à la fin du texte avec la reprise du titre vers 31, avec la réécriture du vers 1 aux vers 27 et 29, et avec les anaphores des mots « mettre » vers 1 et « mettront » vers 28. La notion d’ambivalence se retrouve ici dans la structure même du texte et on peut se demander quel rapport le fabuliste établit au sein de cette structure entre sagesse et folie.
Le jeu sur le mot « fou » et la question de la cour.La Fontaine joue sur la structure mais également sur les mots. « fou » apparaît tout d’abord avec son sens psychologique vers 4 « tête éventée » qui allie synecdoque et métaphore puis au vers 22 « cerveau blessé ». Mais il aborde une autre vision du fou, à savoir celui qui avait pour fonction d’amuser la cour du roi aux vers 5, 6 et 7 « On en voit souvent dans les cours./Le Prince y prend plaisir ; car ils donnent toujours /Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules. »
Le fou a donc une fonction de sagesse puisqu’il expose la folie, la bêtise du genre humain et plus particulièrement celles des courtisans. On voit donc ici une critique des courtisans qui se croient important et qui recherchent les faveurs du roi. Le fou n’est donc pas seulement un fou au sens médical, mais il est le bouffon du roi qui tourne au ridicule les prétendants de la cour. La Fontaine, dans cette fable conseille donc aux courtisans de se tenir éloigné du bouffon du roi pour éviter d’être tourné en ridicule devant le roi vers 1 « Jamais auprès des fous ne te mets à portée ».
Une morale politique ou philosophique ?Cette fable nous offre une morale double. La première est politique et enseigne au courtisan comment se comporter à la cour. Il leur faut s’éloigner des fous qui font rire le roi à vos dépends or il n’y a plus de bouffon au XVIIIe donc pour La Fontaine être un courtisan sage c’est s’éloigner de ceux qui vous font du tort. Cette morale est historique et politique mais il y a encore une autre morale philosophique très paradoxale qui montre que la sagesse peut advenir par la folie. Le fabuliste a une double dimension : homme de cour et philosophe. Nous allons donc maintenant étudier la position du fabuliste.
Le fou et le moraliste à la cour : deux figures finalement proches.
Au départ le fabuliste peut être identifié au personnage du sage : le mot « conseil » au vers deux pour La Fontaine et le même mot pour le sage au vers 27. Mais comme nous l’avons vu, le fou est aussi une figure du sage, on peut donc dire que La Fontaine s’identifie également au fou. Le fou fait rire le prince aux dépends des autres (courtisans, vicieux) vers 6 et 7 « donnent toujours/Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules » Le fou fait rire, il s’agit donc du Castigat ridendo mores, c’est à dire le rire à travers les mœurs. Le fou est dangereux pour les vices des hommes. Le fabuliste est sage car il donne un enseignement ; une morale mais à travers une fiction, une invention, comme le fou.
Le langage du fou : une métaphore de l’apologue.
Le fou ne parle pas mais ses gestes sont un langage, comme nous le voyons grâce à « hiéroglyphes », qui traduit un langage incompréhensible, mais tout de même un langage. C’est ici une métaphore et donc une figure de l’analogie comme l’utilise La Fontaine. L’enseignement du fou est concret et l’enseignement de La Fontaine se veut également matérialisé par le bestiaire (allégorie des idées) Comme pour le fou, les propos du fabuliste peuvent être insensés, tels les animaux qui parlent, mais il faut aller au-delà des apparences, chercher le sens implicite. Le fou, comme le fabuliste dans sa fiction, impose une démarche heuristique, c’est à dire qu’il fait réfléchir le lecteur pour que celui-ci trouve lui-même ses réponses. Ce texte est une forme d’art poétique extrêmement implicite : le fou est une métaphore de son propre travail de fabuliste.
La sagesse de la folie : la sagesse de l’apologue.
La Fontaine ne résume pas l’ambivalence entre sagesse et folie précisément pour montrer que le genre de l’apologue se situe entre les deux. Le récit, le corps, est représentée par la folie tandis que la morale est l’image de la sagesse du fabuliste. Au lieu de seulement blâmer la folie des hommes, La Fontaine en prend parti pour mieux leur enseigner la sagesse.
A travers cette fable, La Fontaine aborde un thème paradoxal, à savoir le rapport entre folie et sagesse. Il montre au lecteur que les deux sont indissociable dans la mesure où la folie révèle la sagesse et cela se retrouve dans tous les domaines, y compris à la cour du roi, qui se trouve critiquée ici. La Fontaine utilise ces deux figures apparemment contradictoires pour donner une définition de son art : mélanger folie, avec la fiction, et sagesse, avec la morale, pour montrer la voie de la sagesse aux hommes.
