Le pouvoir des fables.


© Stern - lycée Les Mureaux


La Fontaine a puisé l'inspiration de ses textes chez Esope qu'il entendait au départ traduire : c'est l'esthétique classique qui prône l'imitation des anciens. Mais dans Le pouvoir des fables, on voit bien qu'il ne s'agit pas seulement d'imitation mais aussi d'émulation. En effet La Fontaine reprend une fable d'Esope mais il approfondit l'objectif initial en le rendant plus fin. Ainsi, au lieu de seulement condamner l'enfance de l'homme, il propose ici un art poétique et fait en même temps, en plus du travail de moraliste sur le caractère humain, un éloge de la fable.

Cet éloge est triple : éloge de l'argumentation indirecte de la fable face à l'argumentation directe qu'es l'éloquence, éloge de la valeur politique de la fable et enfin l'éloge de la sagesse humaine que montre cette pratique de la fiction

Eloge de l’argumentation indirecte de La Fontaine.

Un plaidoyer pour la fable.

La structure de la fable est originale car toute la première partie est une adresse à un destinataire particulier : il s’agit de l’ambassadeur de France en Grande-Bretagne. Cette adresse est l’occasion d’un plaidoyer en faveur de la fable car La Fontaine doit ici répondre à des critiques implicites (vers 6, 7, 8, 3, 2 et 4). Dans cette adresse à l’ambassadeur, il joue sur une mise ne scène d’une polémique avec d’un côté ceux qui critiquent la fable « Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ?/vous puis-je offrire mes vers et leurs grâces légères ? » et de l’autre lui-même qui la défend grâce à ce plaidoyer et entame donc un éloge de la fable.

Ce plaidoyer est visible dans la première partie de la fable mais encore plus dans la deuxième grâce à la mise en abyme

La mise en abyme : un art poétique.

Dès le titre cette fable apparaît comme un art poétique. Au lieu de raconter une histoire, Le pouvoir des fables a explicitement comme but de valoriser cette forme. Si elle a un « pouvoir » c’est donc bien qu’elle n’est pas seulement « légère » Cette mise en abyme se retrouve dès la première partie avec « les débats du Lapin et de la Belette » vers 7 et 8, allusion à la fable 16 du livre 7 : Le Chat, la Belette et le petit Lapin. La mise en abyme se retrouve principalement dans la deuxième partie avec l’orateur qui propose une fable au discours direct. Cet orateur est donc une figure du fabuliste, de La Fontaine qui se met en scène de façon détournée dans son propre texte. Il est une hypostase / avatar. Cette mise en abyme montre que l’objectif de La Fontaine n’est pas seulement de critiquer les hommes comme Esope mais bien d’interpréter le fonctionnement de l’apologue : c’est ici un art poétique. La morale porte non seulement sur le caractère des hommes mais aussi sur l’attitude que les moralistes doivent adopter puisque l’injonction du vers 70 « il le faut encore amuser comme un enfant » s’adresse aux moralistes et à tous ceux qui parlent aux hommes. L’éloge de la fable porte sur la comparaison entre la fable et l’éloquence.

L’apologue face à l’éloquence.

Le terme « éloquence » apparaît dès la première partie au vers 22. Il y a donc éloge de la fale sous forme de mise en abyme. Cet éloge repose sur la comparaison entre deux types d’argumentations : argumentation directe (éloquence) et argumentation indirecte (fable). On retrouve deux mises en scène avec l’ambassadeur vers 21, 23 et 24. Au départ il y a un discours politique, éloquent puis ensuite il choisit une fable. On voit que c’est la fable qui emporte l’attention de l’assistance. L’éloquence ne paie pas, ce sont des paroles inefficaces que le public n’entend pas, n’écoute pas et le lecteur non plus. La seule parole efficace est la fable.

Ce plaidoyer pour l’argumentation indirecte valorise la fable face à l’éloquence et ici l’éloquence de la tribune (discours politique) ce qui sous-entend que l’apologue peut également parler de politique, elle n’est pas limitée à sa dimension moralisatrice.

Eloge de la valeur politique de la fable.

La fable peut tenir un discours politique.

Cette fable s’adresse à un ambassadeur ce qui est surprenant. Elle ressemble donc à une requête faite à l’homme politique. C’est la raison pour laquelle on retrouve toute une dimension épistolaire avec des compliments faits au destinataire au début et à la fin de la première partie et à la modestie du fabuliste. Il s’agit de la captatio benevolentiae, c’est à dire le fait de flatter son destinataire pour capter son attention. Elle est aussi adoptée à la vocation politique de l’ambassadeur au vers 30 « son sujet vous convient » et sur l’allusion à la fable Le Chat, la Belette et le petit Lapin. Avec humour La fontaine dit que ces « débats » ne sont pas très importants mais si on relit cette fable, on se rend compte qu’il est question de conflits territoriaux, c’est à dire d’un sujet de politique internationale par excellence.

Le rôle du fabuliste s’élargit : il peut parler de l’homme en général (moraliste) mais aussi de l’actualité.

Le thème principal de cette fable est la guerre mais elle n’est plus vue d’un point général comme dans Le Chat, la Belette et le petit Lapin. Ici il parle d’un genre très particulier : celle qui menace la Grande-Bretagne et la France. C’est donc une allusion à l’actualité internationale de l’époque qui se voit également avec le discours élogieux de Louis XIV. La Fontaine grandit épiquement le roi « Hercule » mais il s’agit d’une comparaison tout à fait traditionnelle. La fontaine ne parle pas forcément en moraliste mais bien en contemporain de cette guerre avec l’énonciation : « je » qu’il emploie dans cette première partie du texte (partie épistolaire) désigne un Français qui ne veut pas la guerre

Un homme politique doit être fabuliste.

On voit ici que La Fontaine parle de l’actualité, c’est pour donner un enseignement politique (ça se voit par le choix des personnages : ambassadeur et orateur) mais ce n’est pas un orateur en général, il s’agit ici de Démosthène au vers 60 qui a écrit les Philippiques. Pour être un bon homme politique, il faut être un bon homme fabuliste, cela se voit quand on compare la technique de la fable chez Démosthène. Ce dernier écrit exactement comme La Fontaine puisque c’est lui qui les écrit. Pour être un bon orateur il faut parler et écrire comme La Fontaine. Démosthène emploie le passé simple au vers 36 et présent de narration comme La Fontaine au vers 63. On retrouve avec l’indicateur de temps : Démosthène utilise « un jour » et La Fontaine l’utilise également dans la plupart de ces fables.

Dans cette fable, la multiplicité des allusions à l’actualité et à la politique valorise l’apologue en étendant son champ d’action à des domaines dont il aurait été à priori exclu. C’est le cas car la fable tire partie de la connaissance de l’homme pour donner le jour à une forme de sagesse de la fiction

Eloge de la sagesse de la fable.

L’enfance de l’homme.

L’enfance est un défaut humain, La Fontaine parle en moraliste mais cependant s’il y a une critique il y a quand même de l’indulgence puisqu’il considère que le plaisir d’écouter des fables est un trait naturel de l’homme dont tout auteur doit tenir compte. Au vers 65 « nous sommes tous d’Athènes en ce point » est une généralisation et La Fontaine s’y inclus. Au vers 68 « j’ » indique que La Fontaine est un adulte mais qu’il se considère toujours comme un enfant. Cette indulgence du désir éprouvé par les hommes apparaît également par l’intertextualité à savoir l’allusion à Peau d’Ane de Charles Perrault XVIIe : c’est un hommage à Perrault

Une morale qui réfléchit sur l’apologue.

Il y a ici deux morales :

* une politique (un homme politique doit être fabuliste)
* une qui s’adresse aux moralistes pour enseigner aux hommes qu’il faut provoquer un plaisir chez le lecteur.

Etant donné que le lecteur est un enfant, il faut lui parler sous forme de fable (art qui tire partie de l’enfance et qui essaie de les guider hors de la permanence de l’enfance chez les adultes) Il y a une forme de sagesse dans le fait d’écrire des fictions chez La Fontaine. C’est du classicisme avec le bon goût et l’intervention non ennuyeuse

L’art du plaisir conforme à l’esthétique.

Le plaisir de conter et d’amuser colle à la perspective des conversations des salons mondains de l’époque qui est si importante au XVIIe. Pour être honnête homme il faut avoir un style élégant, du bon goût et surtout ne pas ennuyer. L’orateur Démosthène devient honnête homme grâce à sa fable de même La Fontaine est honnête homme classique car il n’ennuie pas et il cherche à plaire à ses lecteurs.

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